Image à la une : La médersa Sahrij, détails du décor des murs. 1917 Cliché du Cdt Larribe commenté par Alfred Bel : Des rares, mais si beaux vestiges de la décoration de cette médersa, on ne sait trop quoi le plus admirer des moucharabiehs et des sculptures des linteaux de cèdre, portant des inscriptions arabes, ainsi que des corbeaux qui les supportent ou des plâtres délicatement refouillés formant les revêtements de la grande porte et des piliers de la cour. Cette photographie donne une idée assez exacte de la richesse décorative du revêtement des murs à l’intérieur de la cour centrale, nulle place n’y était laissée sans décoration. La bande de moucharabieh au-dessus de la petite porte rectangulaire n’offre que des combinaisons géométriques sans aucune inscription. Deux gracieuses colonnes de marbre de part et d’autre supportent les plâtres soutenant le grand arc de cèdre qui forme le fronton du portail.

La médersa Sahrij (médersa du Bassin) fait partie d’un ensemble de constructions élevées par l’Émir Abû al-Hassan en 721-723 de l’hégire (1321 à 1323 de J.-C.) alors qu’il n’était encore que le khalifa de son père Abû Saïd. Cet ensemble comprenait, comme l’indique l’inscription de fondation, trois corps de bâtiments voisins : 1/ La médersa Sahrij, nommée lors de sa construction Madrasa-t-el-Kobra (Médersa principale), 2/ La Madrasa-t-es-Sogra (Médersa mineure), connue aujourd’hui sous le nom de médersa Sba’iyin, 3/ une maison d’hôtes que l’inscription de fondation désigne sous le nom de Dar Abi-Habasa et connue aujourd’hui sous le nom de Dar-es-Syuh, qui n’était plus qu’une ruine au début du Protectorat et qui a été presque entièrement reconstruite par les soins du service des Habous de Fès en 1916.

Selon l’auteur du Qirtas « la médersa fut construite d’une façon parfaite, très belle et excellemment finie. L’Émir Abû al-Hassan fit élever auprès d’elle une fontaine, une salle pour les ablutions, une hôtellerie pour le logement des étudiants. Il fit amener dans ces bâtiments l’eau d’une source située en dehors de Bâb-el-Hadid, l’une des portes de la ville de Fès ».
Abû al-Hassan dépensa pour ces travaux des sommes considérables. Il y installa des faqih pour l’enseignement, y fit loger des étudiants en sciences religieuses – tolba – et des lecteurs du Coran ; il fit donner à tous des salaires et des vêtements. Dans ce but, il constitua en habous* de nombreux immeubles.

(*Habous : législation relative à la propriété foncière : bien de mainmorte, c’est-à-dire des biens rendus inaliénables selon les règles islamiques pour en attribuer le revenu à une œuvre pieuse comme une médersa par exemple. On retrouve en principe une plaque sur un linteau de la médersa qui est la plaque de fondation où est sculptée l’inscription de fondation ; elle remercie celui qui a permis la construction de l’édifice et énumère la liste des biens constitués dès l’origine en Habous, pour assurer l’existence et le fonctionnement de la médersa).

L’inscription de fondation se trouve dans la salle principale, servant de salle de prière et de classe à la médersa Sahrij ; elle est sculptée dans une dalle de marbre-onyx rectangulaire d’un mètre de hauteur sur 0,62 mètre de largeur, fixée contre le mur intérieur de l’ouest.
Voici le texte de l’inscription de fondation de la médersa Sahrij, traduit par Alfred Bel en 1917 :


« Au nom d’Allah, clément et miséricordieux. Qu’Allah répande ses grâces sur Notre Seigneur et Maître Mohammed, sur sa famille, ainsi que sur ses compagnons et qu’il leur accorde le salut : Louange à Allah, le Maître des Mondes. La fin heureuse est la part de ceux qui craignent Dieu.

La construction de cette médersa bénie ainsi que celle de la petite médersa qui lui est jointe vers l’Est a été ordonnée par notre maître l’Émir, l’héritier présomptif du trône musulman Abû al-Hassan, fils de notre maître, le souverain le plus juste, l’Émir des Musulmans, le soldat du jihad dans la voie du Maître des Mondes, Abû Saïd, fils de notre maître l’Émir des Musulmans le guerrier du jihad dans la voie du Maître des Mondes Abû Yûsef ben Abd’el-Haqq. Qu’Allah rehausse l’autorité de ce prince, qu’il perpétue par cette bonne action son souvenir ! Abû al-Hassan a offert à Allah, le Très haut, dans ce geste de piété, ses pensées secrètes et publiques ; il a constitué en habous ces deux établissements pour les étudiants ès-sciences religieuses et pour l’enseignement. Outre ces édifices, il a ordonné de construire le Dar Abi-Habasa à l’usage d’habitation pour les syuh (sages religieux) chargés de la prière à la mosquée des Andalous.

L’Émir Abû al-Hassan a constitué en habous pour assurer l’existence et le fonctionnement de ces médersas et du Dar Abi-Habasa les immeubles suivants :

  • Parmi les vergers situés hors de Bab el Hadid : le jnân Ibn Sarrat, le jnân Ibn el Atmar, le jnân Abû Zaid ben Ali, le jnân Tamun, le jnân Es-Semmar, le jnân El Ulja, d’où provient l’eau alimentant ces deux médersas, la Arsa el Mersa, la Arsa el Hodudi située au Gdir Hassan (Jnân et Arsa représentent des vergers : jnân est toujours hors de la ville, arsa est auprès d’une maison d’habitation, généralement en ville)
  • En dehors de Bab Beni Msafer, le jnân Ibn Rineq ;
  • Parmi les bâtiments servant à l’usage de moulins, il y en a deux au gdir Hassan, un 3ème au gdir el Juza, un 4ème à El Ayun, un 5ème dans la rue Zoqaq Seimlih, un 6ème au-dessous du hammam Zellij, avec la moitié du moulin qui touche à Arsa Ibn Sekkal, le moulin Abû Roba et le tiers de son mobilier, les deux autres tiers étant constitués en habous au profit de la médersa de Taza.
  • En fait de boutiques, il y en a 7 au derb Ibn Safi, 4 dans le quartier des Andalous, une aux Lebbadin, une part de boutique aux Attarine ;
  • La totalité de l’immeuble du fondouk Ibn Humusa, ainsi qu’une maison et une mesriya d’El Hajj el Qarraq, voisine de l’oratoire Mesjid el Hamra ; la moitié d’une maison sise en ces lieux, 53 immeubles donnés en gza à Bab el Hadid. Le cinquième de ces revenus est affecté à Dar Abi-Habasa et le reste aux deux médersas.
  • Outre cela, l’émir a constitué en habous, spécialement pour les deux médersas le hammam Zellij ainsi que les 3 boutiques qui le touchent, les immeubles du Rsif comprenant 44 boutiques et les ateliers de tissage situés au-dessus d’elles, les deux maisons de Bent Qassasa, une part de la maison neuve d’Ibn Salam, ainsi que la petite maison voisine lui appartenant.

Le tout est constitué en habous durable, perpétuel, jusqu’au jour où la terre et tous ceux qui l’habitent reviendront en héritage à Allah. Il est bien le meilleur des héritiers. Par-là l’Émir Abû al-Hassan a voulu être agréable à Allah le Grand et obtenir une récompense magnifique et considérable. Allah ne laisse point manquer de récompense ceux qui ont bien agi, il ne trahit pas l’espérance qu’on a mise en lui, dans un but aussi élevé.

Quiconque tenterait de changer, de modifier ou de négliger quoi que ce soit des prescriptions ci-dessus, Allah lui en demanderait compte, serait son justicier, et en tirerait vengeance sur lui : « Ceux qui auront agi injustement apprendront quels bouleversements ils éprouveront ».

La construction de cette médersa a été achevée et l’enseignement y a été inauguré dans le mois de rabi Ier de l’an 723 (10 mars à 9 avril 1323) ».

Médersa Sahrij : Entrée. Photo Henri Bressolette

Le but de la fondation de la médersa Sahrij par Abû al-Hassan était un geste de piété, nous dit l’inscription de fondation ; elle devait servir aux étudiants et au développement des sciences religieuses. Par là, Abû al-Hassan espérait obtenir les faveurs d’Allah. Son zèle religieux est d’ailleurs attesté par bien d’autres actions : il fit établir et calibrer un modd-ennebi, vase de cuivre qui sert à mesurer l’aumône légale ; il rédigea de sa propre main un premier exemplaire du Coran, qu’il fit réviser par les « lecteurs de Coran » – peut-être ceux qu’il formait dans sa médersa – et qu’il envoya à La Mecque pour être déposé dans la Mosquée de cette ville ; il en fit autant pour la Mosquée de Médine et prépara ensuite un troisième volume pour la Mosquée de Jérusalem, mais n’eut pas le temps de l’achever avant sa mort. C’est toujours dans le même but de mériter la « faveur divine » qu’il fit construire plusieurs mosquées à Tlemcen et Mostaganem et des médersas à Tlemcen, Salé et Meknès (achevée par son fils).

Mais à côté de ce motif religieux que met en avant l’inscription de la médersa Sahrij, Abû al-Hassan poursuivait aussi un but politique : par une aussi importante fondation que cette double médersa, il frappait l’imagination des Musulmans et montrait au peuple ce dont il était capable en faisant œuvre de chef. Quoi de plus propre à gagner l’admiration de toutes les classes de la population musulmane que la construction de ces belles médersas et de ces somptueuses mosquées en particulier pour les habitants de Fès, si grands amateurs du luxe et des arts. Par cette fondation, en se montrant généreux pour les tolba et les maîtres de la science religieuse, il se conciliait toute la classe dirigeante, dont l’influence fut toujours considérable.

Le calcul politique et sa piété expliquent qu’Abû al-Hassan ait eu à cœur de faire plus grand et plus beau que son père à Fès-Jdid. La médersa Sahrij surpassa à l’époque tout ce qui existait dans ce genre.
Comme Abû al-Hassan voulut faire plus grand et plus beau que son père, il fit ajouter à cette médersa d’importantes dépendances, plus vastes que la médersa elle-même, comme la médersa-t-es-Sogra avec ses chambres, le Dar Abi-Habasa avec ses vingt-et-une chambres, une grande salle d’ablutions. Il voulut aussi, sans doute que la décoration de ces édifices éclipsa tout ce que l’on avait fait jusqu’alors, et sa médersa Sahrij fut, semble-t-il, ce qui fut construit de plus riche et de plus luxueux comme décor à cette époque.

C’est probablement la richesse de ce décor qui incita les « Amis de Fès » à choisir la médersa Sahrij, le 20 mars 1938, pour leur première visite-conférence du cycle « Histoire et archéologie » qui avait pour objet l’étude des médersas et de l’histoire de la dynastie mérinide. À la suite de l’exposé général d’Henri Bressolette sur les médersas (cf Les médersas de Fès), Marcel Vicaire a proposé une étude artistique du décor des médersas, à partir de la décoration de la Sahrij.
J’ai retrouvé le texte de cet exposé ; je l’utiliserai, avec d’autres articles d’Alfred Bel (Inscriptions arabes de Fès. Journal asiatique. Septembre-Octobre 1917) et de Jean Galotti, pour évoquer le décor des médersas.

Intérieur de la médersa Sahrij. Cliché Bouhsira, vers 1917

Les matériaux de construction employés par les architectes mérinides sont la brique, les moellons, le bois, la céramique, le marbre et le bronze. La médiocrité des briques et des moellons dégrossis obligea ces architectes à les masquer par des revêtements de céramique, de plâtre et de bois.

Les briques servent à édifier les piliers, les murs intérieurs, les cloisonnements. Les murs extérieurs sont ici en briques et moellons disposés en lits superposés.

Le bois lui, joue un grand rôle non seulement dans la construction même de l’édifice, mais aussi dans la décoration des bâtiments mérinides. C’est ainsi que toutes les parties supérieures de la cour de la Sahrij traitées en bois sculpté n’ont qu’un but purement décoratif.
« Les linteaux et corbeaux sculptés supportent effectivement les étages, mais les poutres intérieures ornementées qui somment les murs ne contribuent nullement à la solidité du bâtiment, elles sont uniquement décoratives. Le bois atteint ici une profusion jusqu’alors inconnue qui ravit les yeux car ces sculptures sur bois sont d’une qualité exceptionnelle. Il suffit, pour s’en convaincre, de jeter le regard sur la haute et large frise en cursif andalou qui ceinture le sommet de l’édifice. On ne se lasse pas d’admirer ces bois de l’époque mérinide, travaillés avec un art et un goût exquis de même que le bois tourné des moucharabiehs qui séparent les entrées latérales de la cour du patio ». (Henri Bressolette)

La céramique est employée dans le pavage, les lambris, et à Sahrij, dans la construction du bassin qui remplace l’ancien très beau bassin de marbre blanc dont la cour était jadis ornée, d’où le nom populaire sous lequel la médersa est connue aujourd’hui. Ce bassin fut transporté plus tard, par Abû al-Hassan, à la médersa Misbâhiya, où il se trouve encore.
« Dans le pavage, la céramique est employée sous forme de briquettes allongées, disposées en bâtons rompus (on trouve quelquefois des carreaux de marbre et même des plaques d’albâtre, comme à la Bû’Inaniya). Mais elle est surtout utilisée pour les lambris, ces hauts soubassements où s’étalent des damiers polychromes, qui font éclater des soleils de zelliges, des polygones d’étoiles dans une subtile harmonie de couleurs. Une frise de carreaux excisés déroule ses caractères de coufique anguleux ou de souple cursif comme un bandeau de versets du Coran au sommet des lambris ».(H. Bressolette)

Le marbre, il n’y en a presque pas ici, on le trouve uniquement employé dans les colonnes de la salle de prière, la plaque de fondation Habous et la petite vasque qui alimente le bassin. Habituellement le marbre sert à paver quelques cours intérieures, à faire les vasques, les fûts des colonnes et leurs chapiteaux, les stèles funéraires, le revêtement de fontaines et de la bordure des bassins.

Quant au bronze, il n’en est plus question : les portes de la médersa étaient certainement revêtues du côté de la rue d’un placage de bronze découpé au burin, comme celles des médersas Attarine et Bû’Inaniya et comme le montre la présence de nombreux clous disposés suivant un motif décoratif géométrique.
Il est fort probable que de gros marteaux ajourés – heurtoirs de bronze – complétaient l’ornementation de ces battants mais ils ont eux-aussi disparus.

Médersa Sahrij : Pilier décoré de zelliges et de plâtres gravés. Vers 1927. Cliché Charles Terrasse (Médersas du Maroc)

Marcel Vicaire précise :  « En ce qui concerne la décoration, ce sont les plâtres et surtout les bois qui doivent retenir notre attention.

L’usage du décor sur plâtre remonte au IXème siècle en Ifrikiya et c’est au XIIIème et XIVème siècles qu’il a atteint son plein épanouissement, et tout particulièrement à Fès.
C’est le premier quart du XIVème siècle qui a vu l’art marocain atteindre son apogée. La médersa Sahrij en est indiscutablement un des plus beaux spécimens, avec la médersa Attarine ».

Dans un article Les métiers d’art au Maroc, de mars 1917, Jean Galotti détaille la technique du décor sur plâtre : « Le plâtre est appliqué en une couche de deux à trois centimètres d’épaisseur sur la surface à décorer. Il est travaillé frais. Le ciseleur commence par tracer au couteau, sans pochoir, ni modèle d’aucune sorte l’ébauche des entrelacs qu’il se propose d’exécuter. Il a soin d’asperger le plâtre fréquemment avec de l’eau qu’il projette de sa bouche. Quand l’esquisse est tracée, il prend un petit ciseau et affouille les parties comprises entre les traits du dessin, en ayant soin de donner aux cavités, une inclinaison correspondant à la direction du regard qui, les murs, étant hauts, viendra toujours d’en bas. Les motifs employés par les ciseleurs sur plâtre, sont d’une extrême variété. Inscriptions, testirs (entrelacs géométriques rectilignes) ou touriqs (entrelacs floraux curvilignes) de tous genres sortent de leurs mains aussi adroites que des mains de dentellières. Aucune influence étrangère à la tradition ne les a fait encore corrompre leur style. Et il ne paraît pas non plus qu’aucun des ornements que l’on trouve dans les médersas de Fès, à l’Alhambra de Grenade ou à Tlemcen, dépassent aujourd’hui leur savoir.
Le défaut de cet art charmant, c’est que pour être achevé selon la tradition, il doit être polychrome. Les couleurs à l’œuf, presque toujours les mêmes que pour le bois, sont dures, sèches et ne prennent pas de patine sur le plâtre. Aussi, est-il rare que l’achèvement ne gâte pas l’ouvrage.
Cette question n’est pourtant pas insoluble. Il existe à Fès certaines vieilles maisons où l’on peut voir des plâtres ciselés, peints dans un parti pris olive, bronze, or vert, ocre, aubergine et qui sont d’un merveilleux effet. Le procédé n’est donc pas à modifier, il faut seulement surveiller la palette du peintre. Une palette spéciale doit permettre de conserver la polychromie du plâtre ciselé et d’en obtenir des résultats excellents ».

Marcel Vicaire en poursuivant la visite fait remarquer : « que ce décor qui paraît floral a pour base une construction géométrique ; que pour le plâtre, l’angle de vue détermine l’axe d’inclinaison des creux ; enfin, que sur le plâtre et le bois, on trouve des sculptures à plusieurs champs.

En dehors des charpentes, employées dans la structure même du bâtiment, nous trouvons deux types : les bois sculptés et les bois tournés, tels ces moucharabiehs qui séparent les entrées latérales de la cour. Les panneaux comportent deux motifs différents, géométriques et asymétriques sur deux côtés de la cour.
Les bois sculptés sont employés dans les consoles qui supportent les toitures, les frises, les linteaux et les corbeaux ».

Médersa Sahrij : Partie supérieure d’une travée. Vers 1927. Cliché Charles Terrasse (Médersas du Maroc)

Trois types de décors : La médersa Sahrij comporte trois types de décors : épigraphique, floral, géométrique.

Dans les monuments antérieurs connus, les décorateurs n’avaient jamais employé les motifs épigraphiques avec une telle profusion. Ici il y en a partout, sur le plâtre et sur le bois, depuis le haut de l’édifice jusqu’en bas.

La place occupée par le décor épigraphique dans les anciennes médersas est considérable. Les inscriptions coufiques et cursives s’y trouvent en abondance, mais jamais sur les parquets et les plafonds, c’est-à-dire sur le plan horizontal (sauf très rarement sur des lustres de bronze). Les bandes d’écriture courent généralement sur le plan vertical, tantôt en lignes horizontales, les hampes des caractères d’écriture étant alors en projection verticale, tantôt en lignes verticales ascendantes ou descendantes, pour former les encadrements, les hampes des lettres se projettent alors horizontalement. Notons enfin que l’épigraphe se trouve sur tous les matériaux servant au revêtement des murs : faïence émaillée, plâtre et bois. On la trouve aussi sur les chapiteaux et les tables de marbre, scellées dans les murs assez haut pour les inscriptions de fondation, ou servant comme bas-reliefs ou parements de fontaines.

En ce qui concerne la médersa Sahrij, Alfred Bel dans une note de 1917, décrit la décoration intérieure des murs de l’atrium. « Sur tout le pourtour de cette cour intérieure à ciel ouvert, les murs sont, à leur sommet, couronnés par un auvent, couvert en tuiles vertes comme toujours, supporté par des consolettes géminées de bois sculpté comme les colonnettes doubles qui les soutiennent, et au-dessous desquelles court une frise de bois de cèdre, avec inscription en grands caractères cursifs d’un beau relief. Les lettres de cette inscription s’enlèvent en relief sur un rinceau floral dont les élégantes palmettes se développent et s’épanouissent au-dessus de la ligne d’écriture ».

Je reprends l’exposé de Marcel Vicaire :

« Tantôt ce sont des caractères cursifs andalous comme dans cette frise supérieure où est inscrite cette phrase du Coran : « Aoudou billa men chitane er Rajim » ( Je me réfugie auprès d’Allah contre Satan le lapidé).
Ces caractères cursifs sont aussi dans les encadrements des fenêtres où, hélas, les mauvaises restaurations faites jadis, n’ont pas respecté les inscriptions sur deux lignes superposées comme l’on peut en voir encore dans la partie ancienne ; caractères cursifs enfin sur les piliers. L’écriture cursive, avec ses pleins et ses déliés, déroule ses courbes d’une infinie variété qui en font la plus belle écriture du monde.
Tantôt ce sont des caractères coufiques particulièrement beaux et bien plus riches que les caractères almohades.
Ces inscriptions coufiques sont de deux types : celles qui sont géométriques sur un axe vertical, c’est à dire que les mots qui se lisent de droite à gauche, peuvent aussi se lire de gauche à droite telle cette inscription « el iouma » (félicité).
Le second type comprend des inscriptions continues, ainsi que sur ces très beaux linteaux et la frise de plâtre des piliers. Les hampes des alifs et des lams ainsi que de toutes les lettres finales sont d’une élégance extrême et se terminent par de jolis fleurons.
Majesté et caprice dans le cursif, grande allure triomphale dans le coufique. Mais ces splendeurs ne sont le plus souvent que la répétition d’euloges (bonnes paroles) et des mêmes versets du Coran. »

Le décor floral. « Qu’il s’agisse de panneaux réguliers, comme arcatures, tympans, frises ou lambris ou de panneaux comme les écoinçons, l’entrelacs symétrique se développe de part et d’autre d’un axe ou bien alors le décor est à répétition, soit dans des réseaux de losanges, soit simplement juxtaposé.

Lorsque le décor est symétrique sur un axe, cet axe est marqué généralement au centre par une palmette, une coquille ou une rosace.
Les palmes, palmettes et fruits que les artisans décorateurs ont exécutés ici avec un relief rare, sont déjà une simplification de ces mêmes éléments employés antérieurement : ils ont tendance à s’éloigner de plus en plus de la nature, ce qui d’ailleurs n’est pas étonnant, puisque les artisans recopient sans cesse ce qu’ont fait leurs prédécesseurs. Qui dit copie, dit déformation.
Les palmes les plus courantes sont les palmes à deux lobes souples et les palmes à lobe unique, souvent implantées dans une sorte de calice. Certaines de ces palmes sont lisses, d’autres sont encore ornées de nervures. Parfois on y trouve de petits œillets.
Toutes ces palmes sont dérivées de l’acanthe. J’aurais sans doute l’occasion de vous montrer les différentes phases de cette transformation.
Outre ces palmes à un ou deux lobes, vous voyez une certaine quantité de palmettes creuses dérivées de la coquille.

Enfin les fruits, parfois perforés de trous, semblent bien vouloir représenter des pommes de pin. Certains archéologues y voient la déformation de grappes de raisin que l’on a pu relever dans certains monuments musulmans, du IXème siècle, à Kairouan par exemple. Je crois qu’ici cette question n’est pas discutable ».

Le décor géométrique est fourni par les zelliges où l’on voit une profusion d’étoiles à huit branches, séparées par un entrelacs blanc.
« Vous voudrez bien remarquer combien sont heureux ces petits bandeaux de merlons et surtout les deux motifs qui se trouvent aux deux extrémités du grand bassin et le petit carré, devant la salle de prières, d’une tonalité charmante.

Avant de quitter cette médersa, je voudrais que vous puissiez l’imaginer, telle qu’elle était lors de la construction, c’est à dire entièrement enluminée de haut en bas, bois et plâtres. Au début du XIVème siècle l’utilisation de carreaux de faïence émaillée non seulement dans le pavage du parquet, mais encore dans le revêtement des murs jusqu’à une hauteur variable au-dessus du sol, produit un profond changement dans l’allure générale du décor. Les émaux polychromes des faïences jettent un éclat nouveau dans ces intérieurs et enrichissent d’une note heureuse, éclatante et harmonieuse à la fois, la décoration des plâtres que l’on semble peindre aussi davantage et des boiseries sculptées des époques antérieures.
Vous voyez encore quelques traces de peintures, dans les frises, les plafonds et les solives qui témoignent de l’habileté et du sens décoratif que possédaient les artisans mérinides ».

Médersa Sahrij : entrée de la salle de prière. Détail. Vers 1927. Cliché Charles Terrasse (Médersas du Maroc)

La médersa Sba’iyin.

Après la visite de la médersa Sahrij, les « Amis de Fès » ont effectué une rapide visite de la médersa Sba’iyin qui était en pleine réfection : l’inauguration a eu lieu le 14 septembre 1938.

Les plus anciennes médersas mérinides ne reçurent pas de nom spécial de la part de leur fondateur. Dans le groupe des fondations de l’émir Abû al-Hassan, comme il se trouvait deux médersas voisines, il fallait pourtant bien les distinguer l’une de l’autre. La principale fut nommée dans l’inscription de fondation Madrasa-t-el-Kobra (Médersa principale) et sera désignée par la suite, comme nous l’avons vu, sous le nom de médersa Sahrij. La seconde étant plus modeste fut nommée par l’inscription de fondation Madrasa-t-es-Sogra (Médersa mineure), connue aujourd’hui sous le nom de médersa Sba’iyin, parce qu’elle a servi longtemps d’école aux étudiants qui apprenaient les sept lectures orthodoxes du Coran (littéralement « de ceux qui connaissent les sept manières de psalmodier »).

Cette dernière paraît avoir beaucoup plus souffert que l’autre, de l’action dévastatrice du temps et des restaurations malheureuses des services chargés de la conservation avant le Protectorat : on utilisait souvent une partie des matériaux de la bâtisse elle-même pour la réparer ailleurs ; par exemple Alfred Bel a remarqué dans la médersa Sba’iyin que des boiseries anciennes portant des inscriptions coufiques, évidemment prises sur place, avaient servi à soutenir l’escalier conduisant à l’étage ; le côté de l’inscription de l’une de ces boiseries est tourné vers le bas dans le plafond du couloir, sous cet escalier. C’est ainsi que bien souvent, les ouvriers chargés de l’entretien de ces monuments ont contribué à la dévastation du décor ancien.

Cette médersa est de toutes petites dimensions, elle n’a point de salle de prière et ne comprend que quelques cellules d’étudiants, d’ailleurs à peu près inoccupées avant la restauration sauf situations particulières : « Pendant mon séjour à Fès, il est arrivé deux ou trois fois qu’un étudiant mal vu de ses camarades des autres médersas, ou soupçonné de vol au préjudice des autres étudiants, était envoyé par le Conseil de l’Université, loger dans l’isolement à la médersa Sba’iyin. En présence de l’augmentation du nombre d’étudiants de l’Université pendant les années 1915 et 1916, j’avais prévu, d’accord avec le Conseil de l’Université, le logement éventuel d’un certain nombre d’étudiants dans les médersas les plus éloignées de la Qarawiyyin, comme celles de Sahrij, de Sba’iyin et à la Bû’inaniya« . (Alfred Bel – chargé par le Protectorat de s’occuper, en 1915, des affaires de l’Université musulmane -)

Selon les constatations d’Alfred Bel il est possible que jadis la médersa Sba’iyin communiquait directement avec la grande médersa voisine par un couloir intérieur dont il n’a pas beaucoup recherché la trace mais que l’on pourrait sans doute retrouver … s’il est vrai qu’il ait jamais existé. Pour se rendre de l’une à l’autre il faut aujourd’hui passer par la ruelle des Sba’iyin qui longe la façade occidentale de la Mosquée des Andalous.

La rénovation de la médersa Sba’iyin entreprise pendant le Protectorat a été achevée en septembre 1938 mais une fois encore le manque d’entretien et l’action dévastatrice du temps ont fait leur œuvre ; une cinquantaine d’années plus tard la restauration était impérative : des infiltrations d’eau et un mauvais drainage des eaux souterraines ont entrainé des moisissures qui ont dégradé plâtres et bois sculptés ; des petites secousses sismiques ont provoqué une fragilisation des planchers, des murs, des colonnes et piliers. La médersa a dû être fermée pour éviter les accidents … et les squatteurs. Des mesures urgentes de stabilisation des éléments de structure ont été prises en 2004 avec l’aide du World Monument Funds en attendant des travaux de réhabilitation plus importants. Mais avant que des travaux efficaces ne soient entrepris la médersa a été victime de vandalisme en 2009 : les pillards ont enlevé et volé ! des poutres en bois sculptées et des colonnes de marbre ce qui a provoqué l’effondrement d’une partie de la galerie du deuxième étage et compromis les perspectives d’une réouverture rapide.

La médersa Sba’iyin a bénéficié du programme de restauration et de réhabilitation des médersas historiques de la médina de Fès, lancé le 4 mars 2013, sous l’égide de S.M. le roi Mohammed VI. En mai 2017, les anciennes médersas de Fès restaurées ont été ré-ouvertes à l’hébergement, à l’enseignement … et au tourisme.

Le choix s’est porté sur la Médersa Sahrij, pour l’enseignement de la filière de la calligraphie arabe et ce, conformément aux Hautes Instructions Royales au sujet de la création de cette filière au niveau de l’Université Qarawiyyin. « La première promotion composée de quinze étudiants a déjà entamé la formation, avec l’encadrement d’experts de l’Académie des arts de Casablanca et d’autres opérant dans la ville de Fès”, a déclaré le ministre des Habous et des Affaires islamiques lors de la présentation du programme de réhabilitation. La médersa Sba’iyin, bien que faisant partie du lot des médersas restaurées, n’a pas été retenue dans l’opération d’hébergement, compte tenu de l’étroitesse de ses vingt-trois chambres,

Médersa Sba’iyin : La cour. Vers 1927. Cliché Charles Terrasse (Médersas du Maroc)

Sur Alfred Bel voir Éloge funèbre de M. Alfred Bel dans Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 89ᵉ année, N. 1, 1945. pp. 136-142. https://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_1945_num_89_1_77829