Image à la une : Le cimetière militaire français de Dar Dbibagh, avant 1913, car à partir de 1913 le cimetière est clôturé.
17 avril 1913. Cérémonie au cimetière de Dar Dbibagh pour le 1er anniversaire des émeutes de Fès.
J’ai déjà évoqué les premiers cimetières européens de Fès (Cimetière international ou cimetière consulaire de Fès) : le cimetière sur la colline de Ed Dhar Mahrès où furent inhumés quelques européens avant la création en 1902 du cimetière international ou cimetière consulaire où les dernières inhumations furent faites en 1923/1924.
Il y eut à Fès deux autres cimetières européens : le cimetière de Dar Dbibagh et le cimetière de Dhar Mahrès.
La Casbah de Dar Dbibagh (ou casbah du petit tanneur) est une enceinte, avec palais et mosquée, construite dans les années 1700, devenue ensuite palais d’été du sultan ; en mai 1911 elle est mise à la disposition des troupes de la colonne Moinier et devient le premier campement des troupes françaises venues au secours de Fès. (voir le contexte historique dans Les hôpitaux français à Fès en 1911 -1912).
J’ignore la date exacte de la création du cimetière de Dar Dbibagh, mais on peut penser que c’est au cours de l’été 1911, quand il est acquis que les troupes françaises vont s’installer durablement à Fès. Il était habituel qu’un petit cimetière soit créé à l’intérieur ou dans l’environnement immédiat des camps, destiné à l’inhumation des militaires, européens ou non, morts au combat ou de maladie ; il accueillait si besoin les civils en l’absence de cimetière civil dans les environs (par exemple à Sefrou, le cimetière militaire du fort Prioux au début de l’installation des français à Sefrou).
Le cimetière est situé à l’ouest de la Casbah. Le Dr Auvert, tué lors d’un combat le 2 juin 1911, vers le Zegotta, a peut-être été un des premiers soldats inhumés à Dar Dbibagh. Je ne sais pas si des civils ont eu leur place dans ce cimetière militaire avant 1912 puisqu’il existait à Fès le cimetière international.
Au printemps 1912, les victimes des émeutes de Fès furent enterrées « dans un coin tranquille des terrains qui entourent l’hôpital Auvert » alors situé en médina. Le journaliste de « L’illustration » qui relate la cérémonie écrit que des sépultures ont été creusées dans une allée en contre-bas. Il précise que des tiges de fer, portant une simple plaque de zinc avec un numéro, marquent provisoirement le chevet des couches funèbres. Le provisoire concerne-t-il le marquage des sépultures ou anticipe-t-il le transfert des victimes en un autre lieu ?
Avril 1912. Service religieux et bénédiction des tombes des victimes dans les jardins de l’hôpital Auvert en présence du Ministre de France, du général et des officiers des troupes d’occupation, et des autorités marocaines
La liste des personnes inhumées au cimetière international montre qu’aucune des victimes européennes – en réalité françaises – militaires ou civiles, des émeutes d’avril 1912 ne fut enterrée en ce lieu. Elles furent toutes inhumées au Cimetière de Dar Dbibagh probablement après l’aménagement du petit cimetière initial assez rustique et non clos. Au centre du cimetière s’élève un monument commémoratif en forme de pyramide ; sur une face on lit les noms des officiers qui trouvèrent la mort dans ces circonstances dramatiques. Le premier nom est celui du sous-intendant militaire Lory, le dernier, celui du Père Michel Fabre, aumônier militaire. Sur les autres faces du mausolée sont gravés les noms des sous-officiers et soldats tués lors de ces journées d’avril 1912.
Le monument commémoratif des émeutes de 1912. Les 2 cartes ont été écrites fin 1913.
Quelques tombes sont-elles demeurées dans les jardins de l’hôpital Auvert ? et jusqu’à quand ? Est-ce que le cimetière de Dar Dbibagh a, ensuite, aussi servi de cimetière pour les civils français de Fès ? Je n’ai pas trouvé d’informations. Il y a eu entre 1912 et 1916 (création du cimetière de Dhar Mahrès) une douzaine de français inhumés au cimetière international, est-ce la totalité des décès de civils français ?
À partir de l’été 1916 il n’y aura plus que de rares inhumations à Dar Dbibagh : il ne reste qu’un très petit nombre de places disponibles et l’agrandissement du cimetière ne peut-être envisagé.
Funérailles d’un officier, carte de 1916. En arrière-plan Dar Dbibagh
Anniversaire au Cimetière de Fez des journées sanglantes des 16* et 17 avril 1912. La carte postale date de 1913. En arrière-plan la Casbah de Dar Dbibagh. On remarque l’appellation de Cimetière de Fez et non de Cimetière militaire de Fez.* (la date du 16 est inexacte, les journées sanglantes ont eu lieu les 17, 18, 19 avril 1912)
17 avril 1913 Visite au cimetière de Dar Dbibagh sur la tombe de Décanis, un des télégraphistes tués le 17 avril 1912
Tous les ans, au moins jusqu’en 1969, une cérémonie officielle avec dépôt de gerbes, en présence des survivants, de moins en moins nombreux, avait lieu le 17 avril à la date anniversaire des émeutes de Fès.
Hormis cette cérémonie commémorative annuelle, le cimetière de Dar Dbibagh était délaissé par les autorités locales. Michel Kamm, journaliste au Courrier du Maroc, évoque l’état d’abandon du cimetière dans un article du 17 juin 1951 : » … j’évoquerai pour vous notre vieux cimetière de Dar Dbibagh, où sont tous nos anciens, ceux de 1911-1912 et ceux de la grande guerre, ce vieux cimetière où chaque année, le groupe toujours plus clairsemé des vieux Marocains va prier sur ces tombes, en demandant à ce que notre municipalité s’y intéresse.
Chaque ville a son haut lieu, ses dolmens, son Acropole, je n’ose dire son Golgotha, la ville nouvelle de Fès a ce vieux cimetière où à l’ombre des vieux créneaux de la Casbah, décor unique et combien adéquat, dorment ceux qui furent à l’origine et dont les noms nous parlent d’Histoire. Ces noms, hélas, tombent au sol des stèles croulantes ; ces plaques gravées se brisent et s’effacent, ces stèles vont en poussière, et le mur même de l’enceinte, ici et là démoli, laisse pénétrer le bétail et les bergers déprédateurs.
… On a suivi avec sympathie les arguments de ceux qui ont su plaider pour les morts et leurs enceintes que l’on veut décentes et surveillées contre le vagabondage et les profanations. (Le Medjless el Baladi avait discuté, quelques jours avant, des murailles et clôtures à implanter pour isoler et protéger les tombes des cimetières musulmans). On est en droit de demander, pour nos morts de la ville nouvelle, et plus particulièrement pour les soldats qui n’ont personne ici que la piété publique, un traitement semblable. Puisse notre municipalité faire pour ces morts oubliés, un geste généreux ; il faut peu d’argent, mais il en faut pour continuer cette urgente réfection entreprise par « l’œuvre des tombes militaires » ; nous tendons la main pour les morts et d’abord à l’édilité, puisque les tombes et leur protection sont affaire municipale … »
Le cimetière de Dar Dbibagh, parfois appelé « cimetière des Sénégalais » – des tirailleurs sénégalais y étaient enterrés – par la population du quartier a été désaffecté à une date que j’ignore, probablement dans les années 1970 avant de servir de terrain de football – ce qu’il est toujours – pour les jeunes du quartier. Je ne sais pas où ont été transférés les corps des militaires de nationalités et de religions différentes ; peut-être au carré militaire du Cimetière européen de Dhar Mahrès, mais cela n’est pas confirmé par le gardien actuel, fils du précédent gardien !
Une partie du carré militaire du cimetière de Dhar Mahrès, après la rénovation en 2009 par le Ministère français de la défense des 2100 tombes militaires. En haut les tombes des soldats musulmans, avec à l’arrière les croix des tombes chrétiennes. En bas les croix des soldats chrétiens … sous la protection de la mosquée de quartier !
Carré militaire de Dhar Mahrès : à gauche la tombe du général Maurial commandant de la région de Fès, de 1920 à sa mort en 1923. On distingue derrière la tombe un monument en marbre près duquel seront placés les drapeaux lors des cérémonies. À droite, le monument dédié aux soldats musulmans morts pour la France.
Le Cimetière européen de Dhar Mahrès est actuellement le seul cimetière européen de Fès.
L’entrée du Cimetière européen de Dhar Mahrès. Photographie d’octobre 2012. On remarque les 2 plaques, reflet des deux destinations du cimetière : cimetière européen et Carré militaire français.
Les démarches pour la création du cimetière de Dhar Mahrès ont débuté en février 1916. Le 22 février 1916, le capitaine Georges Mellier, Chef du Bureau de Fez-Ville, demande au Mourabiq des Habous de se rendre avec lui sur un terrain dénommé Feddou Moulay Brahim. Ce terrain fait partie des Habous du Maristan et est destiné à être le lieu où seront enterrés les soldats français et les européens.
Une parcelle de 244 m de long sur 122 m de large est choisie et délimitée ; elle est évaluée à 1000 douros et une « rebta » de 200 douros en faveur des Habous a été fixée soit un total de 1200 douros. Sur un autre document le prix est de 5000 pesetas hassani et la rebta de 1000 pesetas.
La superficie est de près de 30 000 m2.
Les travaux ont commencé rapidement car le cimetière de Dar Debibagh est pratiquement complet : en juin 1916 le mur de clôture est construit, la porte d’entrée sera posée en novembre. Une loge pour le gardien est demandée ; le gardien sera un militaire chargé de la surveillance et de l’entretien, mais rapidement il sera fait appel à un gardien indigène qui habitera sur place. L’urgence était surtout de trouver un lieu de sépulture pour les militaires ; le cimetière international, pour les défunts civils, n’avait en 1916 qu’une cinquantaine de tombes pour une capacité officielle de 212 emplacements.
En juillet 1916 le Commandant du camp de Dar Dbibagh demande qu’on lui fasse connaître l’état d’avancement des travaux du nouveau cimetière européen de Dar Mahrès et la date approximative d’ouverture. Un courrier envoyé au colonel Simon l’informe que les travaux d’aménagement sont en cours et que le cimetière pourra être utilisé dès le 1er août et « avant si nécessaire ». Le 4 août 1916 une note signale que dans la parcelle réservée aux militaires quelques tombes sont déjà creusées et indique l’alignement à suivre.
En février 1917, le Pacha de Fès signe un arrêté organisant l’espace, les conditions des inhumations, la durée et le montant des concessions.
Le cimetière est divisé en 10 sections de surfaces inégales, destinées aux militaires, et aux civils avec des concessions perpétuelles ou temporaires (5, 10 ou 30 ans). Il est également précisé qu’à titre exceptionnel des inhumations pourront être faites dans la propriété familiale, en respectant certaines conditions.
Photographie aérienne 1919. Au premier plan les casernes, en haut le camp d’aviation avec 3 hangars et quelques bâtiments. À droite, à la jonction 1/3 2/3 le cimetière européen de Dhar Mahrès, encore peu « habité » et sans l’extension (de 1937). On remarque la division du cimetière en 10 sections de surfaces inégales, destinées aux militaires, et aux civils avec des concessions perpétuelles ou temporaires (5, 10 ou 30 ans).
Dès 1920, on envisage d’agrandir le cimetière qui risque de devenir insuffisant si la population européenne de la ville venait à augmenter rapidement ou en cas d’épidémie.
Il est prévu un accroissement égal aux dimensions existantes et de faire porter cette extension sur la face du cimetière du côté du terrain d’aviation.
En même temps on envisage l’aménagement d’un terre-plein devant l’entrée souvent sujette à encombrement quand les voitures sont nombreuses dans les convois ou pour les enterrements militaires avec troupes.
Le procès verbal de bornage est établi en mai 1920, et en décembre 1921 un terrain de 245 m de long et 125 m de large pour l’extension du cimetière et un terrain de 245 m de long sur 45 m de large pour la réalisation d’un terre-plein/parking sont acquis par voie d’échange, encore avec les Habous du Maristan pour 9 375 francs. La superficie utile du cimetière est doublée.
Détail d’un plan de Fès en 1933 qui visualise le cimetière européen, avec à droite en pointillés l’extension vers le terrain d’aviation ; à gauche le camp Antic dont nous reparlerons
Cette extension du côté du terrain d’aviation a été l’occasion d’un litige avec le commandant de la 1 ère escadrille du 37 ème régiment d’aviation qui a fait remarquer – tardivement – en septembre 1921 que cette extension était préjudiciable à l’aviation et risquait d’être à l’origine d’accidents aériens. Les autorités civiles ont réfuté cette argumentation arguant qu’en 1920, lors des discussions préliminaires avec les Habous le représentant de l’aviation n’avait émis aucune objection à l’extension du cimetière de ce côté là. La ville a donc acquis le terrain tel que prévu.
Les prévisions d’épidémie ou d’accroissement de la population n’ayant pas été validées le cimetière initial (de 1916) s’avéra suffisant jusqu’au milieu des années 30.
C’est en fait l’aménagement du terrain d’aviation qui remet sur le devant de la scène l’extension du cimetière. Pour poursuivre le développement du terrain d’aviation en 1934-35 les autorités militaires demandent que la parcelle acquise par la ville en 1921, soit mise à leur disposition. Elles proposent en échange une parcelle à l’ouest du cimetière et prélevée sur le Camp Antic.
L’ échange entre la municipalité de Fès (propriétaire de la parcelle destinée à l’agrandissement du cimetière) et l’état français (propriétaire de la parcelle du Camp Antic) a lieu dans le courant de 1935, mais l’extension du cimetière ne pourra avoir lieu avant 1937 car les baraquements du Camp Antic, occupés par le 8ème Régiment de Tirailleurs marocains, devront d’abord être évacués et les soldats relogés.
Début 1935, certaines sections du cimetière étaient arrivées à saturation : il ne restait qu’une place dans le coin des enfants indigents, une quinzaine de places dans le secteur des adultes indigents, dans les concessions de 15 ans et dans le secteur des militaires indigènes. Des places étaient disponibles dans les concessions de 30 ans, les concessions perpétuelles et des militaires européens. Ne pouvant disposer du nouveau terrain avant 1937, il fallut réorganiser la répartition des différents carrés pour poursuivre les inhumations.
Je joins un extrait du plan concernant les différentes parcelles : en blanc avec les croix le cimetière de 1916, en bleu la parcelle acquise en 1921 destinée à l’extension et finalement échangée avec l’aviation. En rose, la parcelle récupérée sur le Camp Antic qui avec la partie blanche forme le cimetière européen (civil et carré militaire)
On distingue également devant l’entrée la zone de parking acquise en 1921.
Détail du plan établi lors du projet d’échange des parcelles en novembre 1935
Le cimetière européen de Dhar Mahrès : à gauche, plan de 1938 ; en haut à droite, plan de 1953, la surface totale du cimetière est entourée en rouge ; en bas à droite plan de 1979
Pour être exact le cimetière tel qu’il est aujourd’hui a été amputé, avec l’accord des autorités françaises, d’une partie de la zone rosée (plan 1935) récupérée par la ville de Fès dans les années 1980, pour faire un terrain de sport. Aucune tombe n’existait sur cette parcelle malgré toutes les croix visualisées sur le plan de 1979.
Extrait du Plan de Fès (Google map). Le cimetière européen de 2018 est la plage verte anonyme. La partie grise entre le cimetière et la rue Chefchaouen (ex rue de Sidi Brahim) est la partie récupérée.
Après cette réorganisation de 1935/1937 le cimetière de Dhar Mahrès va vivre la vie normale d’un cimetière. L’indépendance du Maroc en 1956 entraine le départ définitif des troupes françaises ; la majorité des européens partira elle aussi progressivement, sur une vingtaine d’années ; les capacités d’accueil du cimetière ne seront jamais dépassées. Il reste actuellement de nombreux emplacements disponibles et la principale inquiétude aujourd’hui est celle de l’entretien régulier du cimetière et des tombes.
Le problème de l’entretien des cimetières n’est pas nouveau.
Nous avions signalé dans l’article sur le Cimetière international que les autorités consulaires responsables n’avaient jamais mis un grand enthousiasme pour l’entretenir. En novembre 1947, Michel Kamm attirait l’attention de la population sur l’état de fâcheux abandon du cimetière. Nous venons de voir que Michel Kamm, en juin 1951, avait lancé un appel à la municipalité de Fez Ville-nouvelle pour participer à la réfection des tombes entreprise par « l’œuvre des tombes militaires », à Dar Dbibagh
Un article de journaliste, non signé, dans la « Dépêche de Fès » du 14 janvier 1934 dénonce la passivité, le désintérêt ou l’incurie de l’Administration française à l’égard des morts.
« … Nous avons été voir là-haut à Dar Mahrès une petite tombe fraîchement creusée. Nous n’avons pu voir la tombe, le cercueil ayant été transporté au Dépositoire du cimetière, ce qui nous a permis de nous rendre compte que vraiment le culte des morts que les Égyptiens poussaient à un si haut degré est chose inconnue de la part de l’Administration au moins.
Qu’est donc le Dépositoire de notre grand nouveau cimetière ? Voilà :
Une petite construction située à l’extrémité gauche du mur de façade. En entrant dans le cimetière j’avais cru que c’était l’endroit où les jardiniers et fossoyeurs mettaient leurs outils et petit matériel à l’abri. Pas du tout … C’était le Dépositoire ! Une porte de bois misérable … La peinture en est depuis longtemps partie. Pas un signe extérieur de piété ou même de pitié envers ceux qui sont là … Rien, rien ! Un dépositoire ne doit pas ressembler à une cabane de cantonnier !
Entrons, car le temps est sec et permet d’accéder assez aisément à la porte. En temps de pluie, il y a un petit lac devant … De ce fait on a dû, car le dépositoire a été édifié sur une partie en contrebas, dernièrement creuser une rigole à la hâte pour laisser filer l’eau qui s’amasse là devant. Entrons … Notre regard plonge dans un invraisemblable fouillis de couronnes, de fleurs qui empêchent quelque peu la porte de s’ouvrir et qu’on est presque obligé de piétiner.
Après avoir refermé la porte légèrement déglinguée de cet asile minuscule … nous avons parmi le cimetière promené nos pas à travers les tombes. On est par moment tenté de s’écrier « Mais nos morts bougent ! » tant de tertres sont affaissés, de tombes en train de regarder de quel côté elles vont se coucher par terre. Le sol en maints endroits semble soulevé comme si les Morts en un suprême effort essayaient de sortir de leur dernière demeure !
Nous avons bien vite deviné la cause de cela. La construction du cimetière imposait un drainage rationnel du terrain et la possibilité d’évacuation des eaux de pluie. C’est à peine amorcé, en ce qui concerne l’évacuation, seulement du côté du quartier réservé aux Morts Militaires. Aussi le sol étant saturé d’eau, la terre se gonfle, des affouillements autour des tombes se produisent et des tombes s’affaissent, s’enterrent.
Un sérieux effort d’entretien du cimetière s’impose et nous espérons que les autorités auront à cœur d’y porter remède « .
Michel Kamm, encore lui !, pose dans un article du Courrier du Maroc du 23 mars 1954 la question de l’entretien du Cimetière de Dhar Mahrès … et propose une solution originale pour apporter une réponse efficace au problème.
« … Si la venue du printemps a amené des vols de passereaux, de grives et de merles qui chantent dans les cyprès, chose agréable, il a également donné une vive impulsion de croissance à toute la végétation qui, laissée depuis longtemps vivante en son doux état de somnolence, s’est brusquement épanouie. Les herbes envahissent maintenant les allées entre les tombes et les caveaux situés dans la partie gauche du cimetière. Lorsqu’elles n’apparaissent que sous l’aspect de fragile gazon, elles enlèvent à ce coin du séjour de nos morts un peu de son austérité. Mais hélas il n’en est pas partout de même. Un peu plus loin, la séguia qui entoure en partie les tombes des combattants de la pacification, tombes entretenues par le « Souvenir français », disparaît recouverte par une bande très dense de plantes semi-aquatiques.
Le cimetière militaire est en général propre, comme doucement illuminé par un gazon naissant qui fut semé pendant l’hiver sur ces pauvres tombes. On remarque cependant par endroits un envahissement de hautes herbes parmi lesquelles de gros paquets de mauves. Mais où cet envahissement intempestif des herbes et épineux sauvages se manifeste d’une façon vraiment déplorable, c’est dans la partie droite, au fond du cimetière, où se trouvent les tombes récentes. Une verdure exubérante parsemée de fleurs jaunes et de coquelicots, des massifs très denses d’une espèce de cosmos sauvages et des touffes de chardons impénétrables ont tout recouvert sous leur végétation à tel point que par endroits les tombes et les croix disparaissent.
Ceux que le souvenir d’un être cher conduit en cet endroit reviennent navrés de leur pieuse visite. « Ne pourrait-on mieux « tenir » notre cimetière ? ».
Il suffirait pour cela de veiller à ce que les quatre ou cinq préposés à l’entretien des tombes ne prennent pas le mot cimetière en son sens étymologique « koïmétérion » (dortoir) comme ils ont coutume de le faire, et au lieu de céder au doux farniente, respiré dans les effluves printanières, s’arment d’une faux et travaillent sinon consciencieusement, du moins un peu plus qu’ils n’ont l’habitude de le faire. »
On pouvait craindre que le départ de beaucoup de familles européennes de Fès après l’indépendance et la nouvelle donne administrative entre les autorités locales et consulaires aient un impact négatif sur l’entretien du dernier cimetière européen de la ville. Je n’ai pas l’impression que la situation se soit dégradée si l’on s’en réfère aux articles de presse du temps du Protectorat. La municipalité de Fès, dont relèvent l’entretien et la gestion du cimetière, salarie un gardien logé sur place ; le consulat participe, selon ses moyens … souvent limités ! au financement de petits travaux d’entretien ; le Ministère français de la Défense et le « Souvenir français » assurent l’entretien régulier et les travaux plus importants du Carré militaire. Restent les tombes individuelles, propriétés privées et l’entretien général du cimetière pour lequel aucun financement institutionnel n’est prévu, le gardien n’étant ni préposé à l’entretien, ni jardinier.
Même après avoir quitté Fès, les familles des personnes inhumées à Dhar Mahrès ont fait en sorte que le cimetière soit régulièrement bien entretenu et conserve la dignité qui sied à un tel lieu, en s’investissant personnellement ou en délégant son entretien, contre une cotisation annuelle, à une habitante de Fès : pendant de nombreuses années elle a fait assurer l’entretien régulier et les petits travaux par une équipe d’ouvriers/jardiniers. Après son départ pour la France, pendant quelques années, la végétation exubérante a repris le dessus et les différents visiteurs déploraient l’état d’abandon du lieu (branches cassées, arbres déracinés, etc.). Depuis une douzaine d’années, des associations d’anciens de Fès financent par les dons de leurs adhérents l’entretien général du cimetière et des tombes familiales par des cotisations individuelles. Le cimetière a aujourd’hui belle allure.
Certains ont pu craindre (ou craignent encore) que les autorités locales récupèrent le terrain du cimetière européen qui se trouve maintenant en ville, dans le quartier industriel de Sidi Brahim et des facultés. Je ne le pense pas : les marocains respectent les morts et les cimetières et savent l’importance de ces lieux pour les familles européennes.
Dans quelques décennies quand nos descendants auront oublié les ancêtres qu’ils n’ont pas connus, et qu’un promeneur dans le cimetière de Dhar Mahrès pourra constater comme le journaliste de 1934 que « nos morts bougent », que « les tombes sont en train de regarder de quel côté elles vont se coucher par terre », que « le sol en maints endroits semble soulevé comme si les Morts en un suprême effort essayaient de sortir de leur dernière demeure », il sera peut-être alors temps de les aider à quitter Dhar Mahrès (et Fès ?) et les accompagner vers un Mémorial, au Maroc, honorant leur mémoire et perpétuant le souvenir de tous ces européens qui ont participé à l’Histoire du Maroc.
Allée principale du Cimetière de Dhar Mahrès. Octobre 2012