Image à la une : Sefrou Vue générale 1954

Texte de Marcel Letellier, édition de l’Agence immobilière de Sefrou, non daté mais probablement de 1955 ou 1956.

Au sud de la ligne Meknès-Fès se développe une région touristique particulièrement attrayante, trois stations climatiques la jalonnent qui, chacune avec ses particularités propres, forment un tout complet.

Deux sont populaires : Ifrane et Immouzer du Kandar. La troisième, moins connue, est Sefrou.

Parmi les nombreux touristes qui visitent les deux premières et leurs environs, certains amateurs de sites champêtres et agrestes, mieux renseignés ou plus curieux, complètent leur itinéraire en allant d’Immouzer à Sefrou par une route de forêt extrêmement pittoresque qui passe près d’Annoceur et aussi près des fameux lacs dont le plus connu est Daïet Achleff*. Si bien que le circuit complet s’étend ainsi sur Meknès, Ifrane, Immouzer, Sefrou et Fès ou vice-versa.

*La référence à Daït Achleff me paraît erronée : le circuit des lacs d’Immouzer à Sefrou via Annoceur, passe près de Daïet Ahoua, Daïet Iffer, éventuellement Daïet Iffrah après un petit détour et Daïet Affourgah. Daïet Ahoua était le plus connu, à moins d’une dizaine de kilomètres d’Immouzer, avec son hôtel restaurant. Daïet Achleff (que j’ai ajouté en vert sur la carte du Fishing-Club, réalisée en 1953 par François Escolano) était en dehors du circuit classique des lacs et accessible surtout lorsque l’on venait d’Ifrane (voir route bleue rajoutée). Il avait une superficie d’environ 60 hectares, était dans une zone assez marécageuse, avec de nombreux roseaux qui servaient de refuge nocturne au gibier d’eau (canards colvert, tadornes, …). Dans la journée le gibier était posé à Daïet Iffrah et à la tombée de la nuit, les chasseurs – pêcheurs dans la journée ! – venaient s’installer au col entre les 2 lacs, « à la passée » aux canards qui rejoignaient pour la nuit les marécages de Daïet Achleff. Les chasseurs tiraient au jugé, pour ne pas dire à l’aveugle, sur les oiseaux de passage ; s’ils les atteignaient, les canards tombaient dans les petits chênes verts qui couvraient la colline et en l’absence d’un bon chien le gibier n’était jamais retrouvé de nuit !! Les chacals en faisaient alors leur ordinaire.

Le chalet du lac de Daïet Aoua (ou Ahoua) en 1954, avec sa terrasse ombragée, et son hôtel restaurant

Ceux qui voient Sefrou pour la première fois en sont ravis, en deviennent les amis, renouvellent leur visite à la première occasion. Quelques-uns s’y fixent.

Sefrou fut fondé dans une oasis naturelle par des caravaniers qui en ont fait un gîte d’étape en raison de sa situation au bord d’un oued, par des déracinés du Sud fuyant la sécheresse et les pillards, par les ancêtres des actuels troglodytes de Bahlil, d’Immouzer du Kandar, de Mezdra el Djorf, sortis de leurs cavernes enfumées, puis plus tard par des Juifs de Debdou et du Tafilalet attirés par le négoce des caravaniers dans une de leurs stations préférées.

Vers l’an 800, il n’y avait encore dans l’oasis que quelques ksour disséminés lorsque Moulay Idriss II s’y arrêta, s’y plut et y séjourna pendant deux ans. Il islamisa la population sédentaire et lui fit regrouper ses habitations en les munissant de défenses extérieures pour les protéger des brigands. Avant celle de Fès, la ville de Sefrou était née et la tradition orale conserve précieusement cette expression qu’on prête au souverain fondateur : « Je vais de la ville de Sefrou au village de Fès ».

En 1883, vers la fin de son audacieux voyage, Charles de Foucauld fit halte à Sefrou où d’ailleurs la curiosité d’une femme** faillit le perdre. On montre aujourd’hui parmi les maisons du Mellah, celle où le grand explorateur reçu l’hospitalité chez David el Oliel.( Parfois orthographié David Lhalyel)

**La femme de David surprit un jour de Foucauld en train de dessiner dans sa chambre, où il se croyait à l’abri des regards indiscrets, elle en conclut que c’était un faux rabbin. Averti, Chaloum Azoulay, le grand rabbin de Sefrou interrogea Mardochée Abi Serour (le rabbin qui accompagna de Foucauld tout au long de son voyage au Maroc), le pressa de questions, celui-ci finit par avouer la vérité, expliqua les buts de son voyage et fit promettre à son hôte de lui garder le secret pendant dix ans. Ce dernier tint promesse et, en effet, ne parla de cette aventure que longtemps après.

Aujourd’hui encore la ville est très disséminée parmi les grands arbres. Construite sur les bords de l’oued Aggaï, la Médina, blanche et gaie, d’un caractère traditionnel particulier n’en est qu’une partie :  elle contient le Mellah aux habitations construites tout en hauteur et diversement colorées. Plus en amont, se dresse la Kelaa : village indépendant, encerclé de hautes murailles, et probablement encore aujourd’hui semblable à ce qu’il était peu après le départ de Moulay Idriss. En amont encore, l’oued tombe en cascade dans une gorge un peu sauvage en un lieu ombragé et frais. Droit au-dessus, on a, du Fort Prioux, une vue magnifique qui s’étend de Fès par-delà les vallées de l’Innaouen et du Sebou jusqu’aux montagnes du Rif et plus près de nous jusqu’au Bou Iblane dont les neiges sont visibles pendant plus de six mois de l’année.

Panorama de Sefrou. Au 1er plan le Fort. À gauche, en contrebas, le Kelaa et derrière la ville de Sefrou. En arrière plan et sur la moitié droite le Bou Iblane enneigé.

Au même niveau, c’est-à-dire à l’altitude de 900 m environ, un peu plus au sud se dresse le marabout de Sidi Bou Serghine, objet d’une grande vénération. Les pèlerins s’y succèdent nombreux : les nerveux et les femmes stériles vont lui demander la guérison.

Puis on descend vers le secteur des villas auquel des urbanistes distingués ont réservé les plus jolis jardins, au milieu desquels ils ont tracé les lignes élégantes des rues nouvelles dont plusieurs sont déjà ouvertes.

De là, on regagne la Ville nouvelle, commerçante, aérée et claire que traverse la route n° 20 qui part de Fès pour se diviser en deux à Boulemane et conduire vers le sud au Tafilalet par Midelt et Ksar es Souk, et vers l’Est par Guercif et Taza, à la route d’Algérie.

Sefrou : vue générale de la Ville nouvelle au premier plan, avec derrière les nouvelle et ancienne médinas, vers 1955. L’important bâtiment sur la gauche est l’École musulmane d’apprentissage (actuellement Collège Moulay Ali Chrif)

On peut faire de jolies promenades à pied en empruntant la piste touristique, le futur boulevard circulaire, celui des Tabors en partie réalisé, en remontant la rive gauche de l’oued par le quartier de Si Ahmed Tadli, en découvrant les sentiers qui longent les séguias, etc… et des excursions en auto vers El Menzel, Ahermoumou, le Bou Iblane, aux lacs, à Bahlil, site classé qui attire tant d’artistes etc.

Sefrou compte près de 25 000 habitants dont environ 800 sont européens ; la population musulmane est sensiblement deux fois plus importante que la population juive.

L’oasis s’étend sur plus de 7000 hectares, on y cultive surtout l’olivier (on en a dénombré plus de 11 000 et plus de 1000 tonnes d’olives sont traitées chaque année par les huileries locales). On y fait du maraîchage ; les fraises de Sefrou sont les plus réputées, on en a expédié 120 tonnes et 40 tonnes de cerises en 1954. Dans les jardins qui composent cette « oasis sans palmiers » on trouve en abondance les amandiers, poiriers, pommiers, micocouliers, noyers, saules, etc… Les fleurs et particulièrement les roses y viennent en abondance.

Le souk se tient le jeudi, il est très fréquenté par les montagnards dont certains viennent de fort loin ; on peut y voir de jolies berbères vêtues de leur chatoyant costume traditionnel.

Le souk du jeudi – Souk el-khemis. Les jolies berbères étaient rares ce jeudi.

Sefrou a été comblé par la nature pour être un lieu de repos, de séjour bienfaisant ; étagé entre 850 et 900 mètres, il n’est qu’à 28 km de Fès par une bonne route. C’est le lieu idéal pour une cure de repos après celle – combien efficace – de Moulay Yacoub ou de Sidi Harazem. Pour toutes ses qualités Sefrou a reçu le titre officiel de « Station climatique ». C’est encore une modeste station sans prétentions, tout à la bonne franquette. Point de casino ni de courses de lévriers. Cependant, on trouve tout l’équipement nécessaire depuis les mécaniciens et les hôtels jusqu’aux coiffeurs et aux banques en passant par la piscine et le club de tennis. Plusieurs médecins et pharmaciens y exercent. Un hôpital très moderne y a été récemment construit.

La piscine municipale, piscine en eau vive sur l’oued Aggaï

Les personnes qui s’attachent à ce lieu charmant et décident de s’y fixer peuvent y acquérir une propriété bâtie ou un joli jardin pour s’y faire construire une villa confortable dans un quartier élégant. La spéculation n’a pas encore joué sur les terrains. Et la pierre rose de Sefrou est la plus réputée.

Les familles sont assurées de faire donner à leurs enfants l’enseignement de leur choix. Sur le coteau qui domine la ville nouvelle et le secteur des villas, un collège « climatique » a été spécialement créé pour que les enfants fassent leurs études dans le climat le plus sain du Maroc. On y reçoit internes et externes dans les classes secondaires de la sixième au baccalauréat.

À mi-hauteur, la chapelle de Notre-Dame-de-Toutes-Grâces, église paroissiale est un lieu de pèlerinage de plus en plus fréquenté ; les mouvements de jeunesse s’y retrouvent et une salle d’œuvres vient d’être inaugurée.

Entre la nouvelle et l’ancienne médina s’est installé The Gospel Missionary Union.

Église Notre-Dame-de-Toutes-Grâces, consacrée en 1935.

Les chasseurs trouveront à faible distance des parcours particulièrement giboyeux. La pêche aux Daïets est réputée abondante. (Les Daïets sont des lacs qui soutiennent la comparaison avec ceux de la Suisse ou de l’Écosse).

Sefrou est relié à Fès par un service de cars (voyageurs et messageries). Se renseigner à la C.T.M. (Compagnie de Transports au Maroc) ou au Syndicat d’initiatives de Fès. Assoupis dans la douceur et la quiétude de leur gracieuse petite ville, les habitants de Sefrou n’ont pas pensé à la faire connaître. À vous, lecteur, de la découvrir.

Pont sur l’oued Aggaï. Cliché des années 1930

À propos du collège climatique : il a ouvert ses portes à Sefrou le 8 octobre 1952 dans l’immeuble Teyssier une propriété de plus de 2 000m2, dans la verdure, à flanc de coteaux entre le Fort Prioux et la ville nouvelle. Ce collège privé assure les classes de la sixième à la terminale, latin et grec compris.

Il est dirigé par Jean Vissouze et son épouse, entourés de plusieurs professeurs (mathématiques, espagnol et M. Mohammed Lakhdar, professeur d’arabe au Collège Moulay Idriss de Fès). Suzanne Vissouze est professeure de lettres classiques et enseignera le latin, le grec et le français. Jean Vissouze, diplômé d’histoire assurera les cours de français et d’histoire.

Avant de venir s’installer à Sefrou, puis à Casa où ils ouvrent le collège du Parc (1958-1964) les Vissouze avaient dirigé pendant onze ans La Ribbe, collège privé d’enseignement secondaire, à Crouzol, dans le Puy-de-Dôme.

Le collège accueille non seulement les élèves de Sefrou et de Fès comme externes ou demi-pensionnaires mais également des élèves internes en provenance d’autres villes du Maroc, en nombre bien sûr limité, mais pour tous les niveaux.

Jean Vissouze était connu, avant son arrivée à Sefrou, pour ses publications et ses livres étaient en vente dans les librairies de Fès … et même d’Immouzer, paraît-il ! Il avait publié la « Croule », « Écir » (nom d’un vent d’hiver comparable au blizzard canadien , dit-on à Saint Flour ; au Maroc on parle d’un vent d’Auvergne comparable au chergui), « Le jeu et l’enjeu », « Le beau Gabriel ».

Jean Vissouze était aussi archéologue, lauréat de la Société française d’archéologie et il a certainement eu des échanges fructueux avec son voisin, le Père Henry Koehler, curé de Sefrou à cette époque et dont le presbytère était situé à quelques centaines de mètres du Collège climatique. Le Père Koehler, était membre de la société préhistorique française et a mené au Maroc et à Sefrou de nombreuses recherches archéologiques et spéléologiques dont une étude sur la grotte dite « du Juif » à Sefrou, située au pied de la falaise de Binna.

Enfin, Jean Vissouze a ressuscité pour les « Amis de Fès » la « Querelle de Glozel » lors d’une conférence de mars 1953. Vissouze s’est intéressé à l’affaire Glozel dont on découvre le site préhistorique au début des années 1920. Il a collaboré comme archéologue à l’enquête de 1924 et a publié, en 1928, avec Antoine Vergnette, les « Nouvelles constatations ».

On peut résumer ainsi le sujet : À Glozel, petit hameau aux environs de Vichy, en 1924 un paysan déterre dans son champ quelques objets antiques accompagnés de pierres portant des inscriptions formées de dessins très primitifs. Des savants alertés cherchèrent vainement à en déterminer l’origine puis élevèrent des doutes sur la véracité de la découverte. La presse s’empare de la discussion. Certains experts déclarèrent fausses une partie des pièces découvertes et émirent l’hypothèse que le paysan, après avoir vendu à bon prix des inscriptions vraies en ait fabriquées de fausses pour augmenter ses revenus. Un discrédit public est jeté sur les ruines de Glozel et un jugement en faux achève ce discrédit, enterrant du même coup l’affaire qui peu à peu fut oubliée … pour refaire surface au début des années 1980. Une expertise est ordonnée, un rapport est produit 12 ans plus tard … discrètement, qui conclut à des manipulations, mais la question du pourquoi de ces mystifications reste sans réponse.

Jean Vissouze dans sa conférence dont je n’ai trouvé qu’un résumé de quelques lignes (je cherche toujours le texte complet) évoqua « une fumisterie évidente, avec mobiles de mystification à l’origine, puis entrainant le paysan heureux de gagner des sous et son cornac « faux savant », le docteur Morlet, dans un engrenage dont il ne put sortir. Tout cela, les déplacements de commissions savantes internationales, les identifications d’écriture (égéenne, sumérienne, berbère ) que chaque savant put lire facilement mais chacun de façon différente ! le procès, les polémiques de presse etc., tout cela est bien oublié, et l’on en retiendra surtout avec M. Vissouze, un curieux sondage dans la psychologie des savants à marotte et leur prodigieuse naïveté. » écrit Michel Kamm dans le Courrier du Maroc.

Sefrou, vers 1920