Fès-Plage a été inaugurée le 23 juin 1934 – voir l’article « La piscine d’Aïn Chkeff. Fès-Plage »-.

La veille, dans le Courrier du Maroc, S. écrivait un article intitulé « Promenade à Fès-Plage, dernière née des stations marocaines » qui montre qu’Aïn Chkeff n’était pas considérée comme une simple piscine mais comme une station thermale et/ou balnéaire :

À 7 kms au Sud-Est de Fès, dans une large crevasse de la plaine du Saïs, une rivière souterraine jaillit à la lumière, c’est l’Aïn Chkeff. Les eaux de cette source, nées des neiges de l’Atlas, filtrées par un long trajet sous la terre, émergent limpides. 650 litres/secondes ont échappé à la prison de fer des conduites d’adduction qui alimentent la Ville Nouvelle et la Médina en eau potable ; ivres de liberté, ils cascadent joyeusement sur le lit de sable et de roches de l’Oued Chkeff. Là immédiatement après le périmètre de protection des eaux que boivent les citadins, un Fasi, Jean Laurent, a conçu et réalisé une piscine.
Un barrage, traversant la vallée, retient l’oued qui s’étale en un lac. Nageurs et nageuses, fuyant le mortel chergui, s’ébattent dans l’onde fraîche. Leur énergie recouvrée, ils montent dans les barques et les rames vigoureuses brisent l’eau en cadence.
Sur le rivage, des abris de roseaux sont des refuges d’ombre, où les hommes musclés et les femmes aux genoux polis viennent prendre un instant de repos, et savourer, à petites gorgées, une boisson glacée.
Les enfants épanouissent leur croissance dans l’eau et au soleil. Maçons de l’humanité de demain, ils construisent déjà les châteaux de sable.
Deux lycéennes, libérées des abstractions du baccalauréat, sont allongées sur une natte, et ne connaissent plus que la vie d’un insecte, le tisserand qui sous leurs yeux trace sur l’eau d’infinies arabesques.
Un monde indigène côtoie ce monde balnéaire et ce n’est pas un des moindres charmes de Fès-Plage. Sous le barrage des fellahs apportent le blé des moissons au moulin voisin actionné par l’eau de l’oued. En aval l’eau jaillit d’un rocher sous un figuier et les femmes lavent le linge. Et en voyant ces lavandières africaines on songe que l’une de ces soeurs de Nausicaa pourrait accueillir un nouvel Ulysse, surgi de l’onde d’Aïn Chkeff.
Mais les autos partent nombreuses, le soir tombe et le vallon s’emplit d’ombre. Un baigneur attardé retient sur son corps nu la dernière lueur du jour. Des libellules noires ont les ailes de la nuit proche. Sur la berge des rainettes gonflent leur gorge verte des rythmes de l’amour batracien. Les grillons lancent leurs cris et mille insectes que grise le parfum des fleurs à la nuit, ajoutent leurs voix au concert qu’accompagne le murmure de l’onde et des neuf sources.
Au chant de la terre nocturne répond bientôt dans le ciel le chant des étoiles.
Bercée de cette musique, et lasse de l’étreinte puissante des nageurs, l’eau s’endort d’un sommeil de femme heureuse et les étoiles reflétées trahissent son rêve de volupté.

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Annonce de l’inauguration dans le courrier du Maroc du 23 juin 1934.

Un autre article, anonyme, du Courrier du Maroc du 5 juillet 1934, révèle qu’Aïn Chkeff, quelques jours après l’ouverture, n’est pas un havre de paix pour tous.

« Une bagarre pour les droits d’eau a eu lieu dans la tribu Sedjaa près d’Aïn Chkeff : six blessés ».

Avant-hier à la tombée de la nuit, les deux gendarmes Godé et Pagès, qui effectuaient une tournée à cheval dans la région d’Aïn Chkeff, près de la piste d’Immouzer, furent avisés de ce qu’une bagarre venait de se produire dans les environs.
Les gendarmes accoururent mais tout était fini et ils n’eurent qu’à s’occuper des blessés ; d’autre part, le docteur Secret, qui était à la piscine d’Aïn Chkeff arrivait sur ces entrefaites et faisait diriger les blessés l’un militaire en permission (gravement blessé) sur l’hôpital Auvert et les autres sur l’hôpital Cocard.
Il y avait en tout, six blessés, dont deux grièvement.
M. Abadie, contrôleur civil, avisé dans la soirée, alors qu’il se trouvait à un mariage à la ferme Bonnet, au Saïs, prit aussitôt les mesures d’ordre avec le caïd Ali el Ayachi, et hier matin, trente-cinq indigènes étaient amenés à Fès pour l’enquête.
Les contestations entre les deux camps ennemis, le douar Tlelsa et le douar el Hadj, portent sur le droit d’eau dont ils disposent sur les 24/100 ème de la séguia du Sultan,une dérivation de cette séguia, nommée séguia Khalifa (dont une branche est la séguia Zouagha).
Il y a quelques jours, cette contestation avait été portée devant le contrôle civil de Fès-banlieue, où on avait prescrit aux antagonistes de garder les choses en l’état, jusqu’au 6 juillet, entre temps, le contrôle devait étudier une répartition amiable, basée soit sur des titres, soit sur les déclarations de culture.
La chaleur aidant, nos gens qui sont sans doute, la tête près du bonnet, n’ont pas attendu.
Cela commença par des pierres et cela finit par des matraques.
On a constaté, paraît-il, sur les lieux de l’assaut, la présence de près de deux mètres cubes de pierres jetées et de larges traces de sang.
Le lieu de la bataille est situé à 5 kilomètres environ, au Nord et à l’Est d’AÏn Chkeff, à 500 mètres de la piste d’Immouzer par Aïn Chegag.
Dans la soirée d’hier, les trente indigènes retenus à la disposition de l’enquête ont été envoyés de la gendarmerie au contrôle civil pour y passer la nuit.
Cette bagarre n’est pas dans la plaine du Saïs un évènement inédit, car les querelles de droits d’eau, querelles qui diminuent de jour en jour, grâce à l’ordre et à la justice du Protectorat, étaient autrefois le prétexte de véritables batailles rangées avec de nombreux morts comme épilogue.

On note que l’absence de téléphones portables n’était pas un obstacle à une rapide intervention des secours … judicieusement prépositionnés !

Seule la mauvaise qualité de la chaussée est à déplorer :

« La route des sources d’Aïn Chkeff ».
Courrier du Maroc 27 août 1934.

C’est un fait qu’à l’heure actuelle, beaucoup de nos concitoyens vont quasi journellement à Aïn Chkeff, pour prendre l’air, faire de joyeux pique-niques sous les figuiers ou se baigner à la piscine.
Ce coin délicieux, bien récemment découvert et livré à l’engouement du public est à 8 km.500 de Fès par la route de Dar Debibagh et la ferme Bonnet.
Cette route est malheureusement et très nettement en mauvais état et tout particulièrement dégradée entre la ferme Benaïm et la ferme Esquerré.
La partie en piste sur la corniche assez pittoresque qui longe l’oued Chkeff, aurait également besoin en certains points d’un ravalement opportun, mais elle est, et c’est paradoxal, bien plus roulante que la route.
À signaler enfin que l’antenne entre la ferme Benaïm et le château d’eau est dans un état de dégradation vraiment lamentable.
Nous serions heureux de voir le contrôle civil de Fès-banlieue, dont on connaît la sollicitude, prendre en main la réfection de ce parcours si fréquenté des fasis

Les trois publicités ci-dessous publiées dans le courant de l’été 1934 confirment qu’au moins lors des fins de semaine, Fès-Plage était un des hauts lieux de la vie nocturne fasie, malgré les risques de « rapt d’une blanche » lors des « attaques de la piscine par des canaques ».

Encore une soirée agitée en perspective pour nos deux gendarmes à cheval …